Il faut pas croire non plus qu'on passe son temps à boire du champagne sur la Croisette. Il arrive qu'on aille au cinéma. Trois films par jour pour ma part, en moyenne, ce qui n'a rien d'un record. Je connais des confrères qui en voient jusqu'à cinq par jour, quoiqu'il arrive. Je ne sais pas comment ils font mais ils font. Au troisième jour du festival, ils ont déjà de quoi se livrer à des comparaisons spécieuses et alimenter d'éternels débats dans les files d'attente. Ou ailleurs, au gré des rues cannoises où l'on se croise copieusement vu qu'on va tous plus au moins aux mêmes endroits, un badge autour du cou signifiant notre précieuse appartenance. Malgré tout, dès qu'on s'éloigne du palais, on peut se retrouver très seul. C'est un paradoxe notable et somme toute rassurant quand on sait que 4000 journalistes du monde entier vivent ici durant une petite quinzaine de jours.
Bref, il arrive qu'entre deux projections, à un carrefour ou au détour d'une ruelle, on se conseille mutuellement. "Va voir tel film, c'est super" ou au contraire "celui-là, tu peux faire l'impasse". Recommandations inutiles car chacun a son plan le matin, et jusqu'au soir, s'en tient à sa ligne. Si on commence à changer son programme au gré des avis, on se disperse, on se dissout, on se noie. Hier, j'avais prévu d'aller voir à 22 heures le film de Radu Muntean, "Marti, dupa craciun" que je ne traduirai pas faute de maîtriser parfaitement le roumain, et voilà que deux heures avant, je tombe sur un copain qui l'ayant vu, me dit d'un ton dédaigneux: "Franchement, si les Roumains se mettent à faire les mêmes films que nous... C'est l'histoire d'un couple qui se sépare."
C'est ainsi, nous serions spécialistes, nous autres Français, du crépuscule de l'amour tandis que les Roumains, eux, n'auraient pas le droit de se séparer à l'écran. Condamnés à parler de Ceaucescu, je suppose - pauvres diables. Et bien moi, justement, c'est ça qui m'intéresse: comment les Roumains, qui aux dernières nouvelles sont des êtres humains comme les autres, évoquent la rupture amoureuse. Et tant mieux si Ceaucescu reste au placard, il les a assez empoisonnés comme ça.