La gendarmerie mobile présente aujourd'hui au palais et l'état de siège lié à la projection de "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb ne doivent pas nous faire oublier les choses qui comptent. A savoir que les fantômes existent, que les vaches et les singes sont très probablement des réincarnations de nos proches, et que dans ce monde matérialiste, il y a encore des poètes pour croire dans les esprits.
Le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul l'a rappelé à tous. Flanqué d'un tel nom, on comprend que ce garçon ne cesse d'interroger l'invisible. Cela dit, avec un peu d'entraînement, rien n'est plus aisé que de prononcer ce patronyme défiant à première vue l'alphabet. Il suffit de déconstruire, non à la façon de Derrida, mais plus simplement en détachant chaque syllable et en l'assimilant à des mots familiers. Ce qui donne: "Oui-rasé-teckel". Facile non ? On peut même y ajouter une variante moins anglosaxonne: "Oui-rasé-tacul" mais c'est nettement moins élégant...
Depuis 2002, date où le premier film de Weerasethakul était projeté ici à Cannes ("Blissefully Yours"), je m'entraîne à ce petit exercice de prononciation, c'est dire si je maîtrise la chose à présent. De plus paresseux confrères se contentent du prénom. Ils ignorent le bonheur métaphysique de répéter chaque matin, comme une prière: "Api-chat-pong Oui-rasé-teckel".
Singes, vaches, esprits vagabonds, sont donc au rendez-vous de "Uncle Boonmee", le film de notre ami thaïlandais. Et poisson-chat aussi. Godard aurait aimé s'il s'était donné la peine de venir au festival. D'autant que le poisson-chat fait l'amour à une princesse, ce qui constitue la plus belle scène d'une oeuvre absolument atypique, résolument à l'ouest, mais tout à fait passionnante. Enfin un film où l'on peut se laisser dériver, emporter, rêvasser même, sans réquisitionner sa logique à tout bout de champ et de hors-champ.
Avoir l'esprit trop cartésien n'est pas toujours un avantage. Et face à Apichatpong Weerasethakul, à son nom, à son univers, à ses loups-garou et à sa vaillante imagination, les âmes vacillantes sont, pour une fois, les plus armées.